La course croisière de l'EDHEC se déroule tous les ans au mois d'avril, le plus souvent à LA ROCHELLE. Organisée par les étudiants de l'école éponyme, elle offre une occasion unique aux étudiants des écoles supérieures et universités de régater sur des voiliers habitables plus ou mois affutés. L'aventure commence par la recherche de sponsors, la préparation du bateau, la communication, la constitution d'une équipe, et accessoirement l'entrainement de l'équipage.
En 1986, je suis à l'origine de la participation de l'ENIB (Ecole Nationale d'Ingénieurs de Brest), bien aidé par quelques copains et des copines toutes passionnées de voile...
Pas de problème pour les entrainements. Tous les samedi au port du Moulin Blanc, nous ferraillons en dériveur ou en planche à voile.
Question budget, c'est plus difficile. En filière scientifique nous sommes formatés aux mathématiques et technologies obscures plutôt qu'aux subtilités des finances et du management promotionnel d'un projet.
Heureusement, nous décrochons la confiance de quelques commerçants et du journal quotidien "Le télégramme de Brest". Enfin, une subvention de dernière minute accordée par le Directeur de l'école sauve notre participation. Nous allons partir ! L'équipe navigante est euphorique. L'équipe logistique l'est tout autant.
Notre bateau est parfait. C'est un sloop prototype de13m, nommé "Iemanja", flambant neuf, dessiné par François Lucas (architecte de renom), des voiles neuves, etc. Jean-Pierre Bouzeloc, son propriétaire constructeur, est breton, sympathique et pragmatique!. Le chèque est remis.
Notre équipage est constitué de sept étudiants et de deux marins expérimentés, Jean-Pierre et Michel Bothuon. Michel est malheureusement disparu aujourd'hui. Il a été plusieurs fois tour-du-mondiste avec Olivier de Kersauson notamment.
Tout commence par un convoyage musclé avec un vent de noroit de force 6 et une mer formée de Brest à La Rochelle. La nuit est mouvementée. Elle nous donne une note bien salée...et quelques noeuds à l'estomac. Mais nous sommes maintenant amarinés.
L'accueil à la Rochelle est festif. 350 bateaux, 2000 étudiants et étudiantes ! Les régates vont rythmer toute la semaine avec de multiples anecdotes, des bonnes et mauvaises manoeuvres, de belles images plein la tête. Une longue course est organisée entre La Rochelle et les Sables d'Olonne. Nous marchons bien. Mais la victoire sera rejouée dans un bistrot au fond du Port Olona.
Au retour à La Rochelle, nous finissons la semaine brillamment en gagnant quelques régates. Mais nous déchirons le grand spi pendant l'avant-dernière manche.
Iemanja, la Déesse afro-brésilienne de la mer, termine finalement 2ème de sa classe. Bon, nous sommes quand même très heureux. La remise des prix est bruyante et se termine par quelques baignades dans le port à 2h du matin...
Michel et deux équipiers débarquent, comme prévu. Puis, c'est le retour vers la Bretagne par vent de nord-ouest musclé, encore. Mais cette fois nous devons remonter au près, face à la mer.
C'est une autre paire de manche. Le retour sera marqué par une 'très' grosse frayeur à l'approche de la Pointe du Raz...Je vais vous raconter ça !
Toute la nuit, le bateau tape dans une mer hachée. il est 4h30 du matin. Nous venons de passer le passage du raz de Sein. Nous naviguons babord amure, deux ris dans la grand-voile et foc de route. Le vent souffle fort entre 7 et 8. Jean Pierre barre. Je suis à côté de lui, à moitié endormi...Il fait froid. Le reste de l'équipage dort dans la cabine. Le bateau file à 6 -7 noeuds dans la nuit.
Soudain, je vois passer une énorme masse noire à quelques mètres du bateau. Je hurle: " ROCHER A GAUCHE !" Jean-Pierre tire la barre instinctivement.
"Sic...c'était quoi ça? "... "où sommes nous?"... C'est bizarre, on dirait que ça sent le varech..?
L'aube arrive peu à peu. Nous commençons à apercevoir des rochers partout autour de nous ! les vagues déferlent au loin. Nous comprenons maintenant. Aie! Aie! Aie!
"Quels cons!" Nous sommes au milieu de la chaussée de Sein! Comment a t'on fait ça?
"Affalez toutes les voiles!", "Mettez le moteur!", "demi-tour!", "Regardez partout!", "Attention devant et dessous!".
Jean-Pierre dicte les ordres avec précision. Yann se poste dans la descente, garde les yeux rivés sur le sondeur et gueule la hauteur d'eau sous la quille toutes les dix secondes: "4 mètres"... "3 mètres"... "2 mètres et demi". "Ca va mal finir". Nous serrons les fesses. L'équipage est ivre de fatigue. Les nerfs lâchent chez certains.
Je suis persuadé que Iemanja va finir par talonner sur les rochers. Combien de secondes encore?
Miraculeusement, l'histoire se termine bien. Je ne sais comment, nous réussissons à nous faufiler entre les rochers et nous ressortons du piège de Sein.
De nouveau en pleine mer, le vent de Nord-Ouest est toujours fort. Nous remettons de la toile et partons vent arrière, pleine balle, nous réfugier à Audierne.
Et voila ! c'était l'histoire de l'équipage qui n'avait pas bien lu ni la carte SHOM, ni le livre des feux. L'histoire d'un capitaine trop confiant. L'histoire de l'équipier trop timide, qui au cours de la nuit avait bien senti que quelque chose clochait dans le comptage des éclats blancs de la Vieille, mais n'a rien osé dire... Ha oui, j'oubliais...le GPS n'était pas encore inventé !
Nous resterons à Audierne quatre jours, alternant restau, bistrot, dodo, et attendrons le retour du beau temps pour repartir à Brest.
Le vent se calme enfin. Nous appareillons en équipage réduit pour repasser la pointe du Raz, de jour cette fois. Au passage, nous saluerons bien bas la Vieille avec un large sourire. Avec ça, je rate la rentrée des classes de deux jours...
Enfin, quelques anciens tomberont peut être sur ce récit et se rappeleront cette aventure, dont on avait reparlé des semaines durant, pour certains pas très fiers. Je les embrasse.
PS: J'ai retrouvé des traces de Iemanja sur internet, et surtout, J'ai été contacté par M. Etienne Raboin qui a gentiment corrigé mon post scriptum en m'expliquant une partie de sa longue histoire:
extrait: "...Nous sommes allés en Norvège, aux Marquises...au Cap Horn (*) La photo que j' ai prise l'a été en Patagonie... au Brésil... et je connaissais très bien Mich' Bot, ...créé l'association "passeurs de rêves dans la réalité du monde", et fait environ 80.000 milles avec Iemenja "...
... ça ne m'étonne pas que vous ayez pris votre pied sur Iemanja "
Sur Internet, on peut trouver quelques articles, notamment celui du Télégramme du 24 Août 2002, et apprécier comment Etienne Raboin, Katell Quidelleur et leur fils Thibault ont donné une dimension supplémentaire à leur magnifique voyage en le partageant avec des personnes handicapées.